Les galeries sont à Soho ce que les antiquaires sont au Sablon (d’accord, les lecteurs non belges connaissant Bruxelles souriront sans doute de ce belgocentrisme attendrissant. De toute façon, la Belgique doit avoir été créée pour faire sourire le reste du monde. Non?). Bref, les touristes n’auraient aucune raison de venir acheter des t-shirts "I love Soho" ou des vêtements "The Gap" (l’équivalent anglo-saxon de Benetton dont l’on trouve un magasin dans n’importe quel centre commercial du Middle West) au sud de Houston Street, si il n’y avait pas les galeries d’art pour les y attirer.
L’avantage de l’art sur les vêtements, c’est qu’on peut rentrer dans une galerie, en faire le tour, sortir sans rien avoir acheté et malgré tout rentrer chez soi pour raconter à ses collègues de bureau qu’on a visité des galeries d’art de Soho et qu’on y a vu des choses "vraiment extraordinaires" sans pour autant devoir exhiber ses propres achats! De plus, il suffit de retenir le nom de l’un ou l’autre artiste de l’ancien empire Russe ou de la Chine toujours Communiste pour pouvoir entamer une litanie culturelle sans courir le risque de voir son jugement remis en cause.
Mais trêve de digressions, la tendance actuellement en vogue dans les galeries new yorkaises, c’est les artistes des "Americas", c’est-à-dire d’Amérique latine. Une autre chose importante à savoir, c’est que, dans Soho, les galeries les plus intéressantes sont au premier étage et non au rez-de-chaussée. Celles dont les vitrines donnent sur les rues étant évidemment réservées aux artistes déjà connus d’un public plus élargis (en d’autres termes, des touristes venus de… Paris. Faut pas déconner, il n’y a aucune chance qu’un touriste du Middle West connaisse quoi que ce soit à l’art contemporain…) et donc, si vous voulez avoir la moindre chance de faire illusion en tant que New Yorkais amateur d’art, vous vous devez d’être élogieux à propos d’un Cubain récemment sorti des griffes de Fidel, et qui, après avoir vécu au Mexique (probablement en attendant son visa Américain) expose dans une petite galerie d’un premier étage sur Broadway!
Il se fait que j’ai été invité au vernissage d’une telle exposition. Je vois déjà le sourire des sarcastiques se dessiner au-delà du cyber-space et je les entends déjà m’accuser de vouloir moi-même prétendre "faire partie du milieu de l’avant garde artistique new yorkaise". Bon, mettons les choses directement au point. A tout vernissage, le vin blanc, les sodas et les chips sont gratuits! Si on met discrètement les sodas de côté, et que l’on est tout aussi discret quant au nombre de fois que l’on se ressert au bar improvisé, la soirée devient tout de suite rentable. Ensuite, le milieu des galeries, est, après le milieu des magasines de modes et celui de la publicité, celui où on trouve le plus de jolies filles. Ayant déjà dit plus haut que j’étais toujours à la recherche d’une princesse éventuellement charmante, je ne vois pas pourquoi j’aurais décliné l’invitation (j.h très intellig., très drôle, très bien fait de sa personne, attend réponse à cette adresse).
Le vernissage en question se tenait un samedi après-midi au premier étage d’un building situé sur Broadway! L’artiste était Cubain et il avait vécu au Mexique (bon d’accord, j’aurais pu me creuser un peu les méninges pour trouver un autre exemple deux paragraphes plus haut! Mais bon je suis déjà étonné que vous soyez toujours en train de me lire et que vous n’ayez pas encore zappé sur la page du Soir sur Internet, sur le site de l’IRM pour vérifier que le temps sera bien mauvais demain en Belgique, ou plus probablement sur Playboy.com parce que c’est quand même avant tout à cela que sert internet).
Sur les murs blancs de la galerie, l’artiste avait accroché de petites ardoises encadrées de bois blanc sur lesquelles des mots ou des phrases étaient écrits. Au-dessus de chaque ardoise, il y avait un objet. Tantôt sculpté dans le bois. Tantôt en plâtre. Ou même en papier mâché. Le lien entre objets et mots n’était pas toujours très évident. Mais bon, c’est de l’art contemporain après tout! Le tout dégageait un certaine ironie décalée comme cette suite d’ardoises mises en parallèle au-dessus des têtes sculptées des conjoints d’un couple qui se décompose et qui révèlaient en vis-à-vis les pensées non-dites de la femme et de l’homme("elle a grossi - il s’est mis à ronfler", "il ne pense qu’à l’argent - elle m’écoutait avant",…) ou comme ces bancs d’écoliers miniatures au-dessus desquelles les ardoises reprennaient les plaintes concernant leur situation financière précaires de différents artistes dont les oeuvres se vendent de nos jours à grands coups de millions. L’ironie de ce dernier tableau étant encore soulignée par les signatures bizarrement arrangées (ex: Gogh, Vincent Van). J’appris au passage qu’en 1933, René Magritte informa son dealer que l’on ne pouvait décemment pas vivre de 20 Francs par mois. On le comprend.
L’ouverture était à 16h00. Comme le prescrivent toutes les règles de bienséance, il faut toujours arriver un quart d’heure après l’heure fixée. Dans ce cas ci, j’avais rajouté une demi-heure pour être sûr. Pourtant, j’aurais mieux fait d’ajouter carrément une heure complète car après le "drink", il y avait un symposium, et donc, alors que la galerie n’avait été visitée que par des badauds quelconques qui étaient passés par les trois autres galeries auparavant, vers 17h30 une petite vingtaine de personnes occupaient la place en attendant l’arrivée des protagonistes. La propriétaire de la galerie, style richissime mécène, passait de groupe en groupe, alors que son chien, un adorable toutou, se faisait câliner par les visiteurs.
La directrice de la galerie introduisit les 5 intervenants : l’artiste cubain, la modératrice, une charmante jeune femme énergique, style hispanique européenne à la Victoria Abril, une spécialiste des artistes cubains des années ’80 très nouvelle Angleterre qui, elle, avait dépassé la cinquantaine, une pimbêche critique machin chouette qui donnait son avis de manière inspirée et approuvait d’un air entendu les affirmations de la spécialiste assise à ses côtés, et pour finir un homme aux cheveux blancs, affichant sous la lèvre inférieure un bouc de quelques poiles seulement. Les débats pouvaient alors commencer.
L’artiste bien évidemment tenait le crachoir. La modératrice l’interrompit exactement trois fois pour donner la parole aux autres intervenants spécialistes (une fois par intervenant) et une quatrième fois pour donner la parole au publique. Elle faisait cela avec aisance, profitant même d’un acquiescement de la tête de l’homme aux cheveux blanc pour lui donner la parole en lui demandant ce qui lui passait par la tête (sans doute n’avait-elle rien d’autre à lui demander sur le sujet des artistes cubains des années ’80 et se demandait-elle depuis dix minutes comment elle allait bien pouvoir l’introduire dans la conversation). Le discours central de l’artiste se résumait à décrire la société Cubaine comme évoluant en vase clos. Mais paradoxalement, le peu d’information qui filtrait, causait une telle curiosité, qu’en fin de compte, on en connaissait plus sur les avant-gardes américaines et européennes à La Havanne qu’en Amérique ou en Europe. De plus, les artistes cubains n’ayant pas à se préoccuper d’argent "parce que tout le monde est pauvre à Cuba", cela stimulait leur créativité.
Il s’ensuivit un court débat sur deux différents artistes dont je dois bien avouer ne pas avoir retenu les noms, un intervenant du public ayant suggéré que le travail de l’un suivait le travail de l’autre. Ce que contesta vigoureusement la spécialiste cinquantenaire. Elle reçut l’appui de la pimbêche, après avoir disserté sur la signification du mot "suivre" dans le cadre conceptuel du monde de l’art, parce que, si il était évident que le second artiste était "conscient" du travail du premier, on pouvait difficilement dire qu’il le "suivait", bien qu’elle ne discute pas du fait que le travail en question soit de manière permanente dans la tête et l’esprit du second. Sur ce, la propriétaire de la galerie mit fin au débat en affirmant que l’intervenant (sans doute un client potentiel qu’il ne sert à rien de frustrer) avait évidemment utilisé le mot suivre dans le sens "chronologique" du terme. Elle remit ensuite un impressionnant bouquet de fleurs à la modératrice, deux bouquets plus petits à la spécialiste et à la pimbêche. Quant à l’homme aux cheveux blancs, il dut se contenter d’une bise.
Après avoir applaudi, l’audience qui s’était négligemment
assise à terre et contre les murs, sous les oeuvres exposées,
s’est alors levée et quitta la salle petit à petit. Il était
déjà huit heure et il était temps, pour la petite
assemblée, d’aller peupler les restaurants
du Village avec sa "date" du Week-end.
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