FRANCE 98







Pendant le mois de la coupe du monde de football, j'ai pris l'habitude d'aller dans un bar de Soho pour regarder les matchs en tchattant avec le barman, un croate ayant atterri à New York après un détour par Paris et Londres, ou avec les touristes venus voir le match du jour. Le jour de la finale, alors que je marchais vers le coeur de Soho, j'étais encore à trois blocs de là que les chants des supporters se faisaient déjà entendre. Jamais je n'avais vu les bistrots du coin peuplés de la sorte. Les gens étaient debout dans la rue pour voir sur la pointe des pieds les nombreux écrans que les propriétaires opportunistes avaient loués pour l'occasion.

Il était hors de question d'entrer dans mon bar habituel déjà plein à craquer. J'ai finalement trouvé un petit coin au premier étage d'un restaurant indien, coincé entre un italien ("ma si, la défense de la squadra était bonne cette année, ma cé l'attaque qui valait rien...") et une petite vieille française aux couleurs de la Martinique qui soupirait "C'est là-bas que j'aimerais être" en regardant le stade de France à la télé. Puis remarquant le t-shirt jaune que j'avais mis par inadvertance ce matin-là alors que le soleil à ma fenêtre m'avait mis de bonne humeur, elle me dit : "Mais vous êtes pour les français quand même!" Comme si le soutien des voisins n'allait pas être de trop pour permettre à ses petits bleus de résister aux grands méchants brésiliens.

A la table d'à côté, une de ces tables rondes en verre qui sont courantes dans les restaurants indiens, une famille de Brésiliennes allant de la vingtaine à la cinquantaine, aborde le match avec appréhension. Mais elle ne manquait aucune occasion de répondre par des "Allez les yellow" au "Allez les bleus" qu'entonnaient un groupe de jeunes françaises ayant visiblement amené et converti leur cop's américains. L'une des brésiliennes se retournant vers la petite Martiniquaise et vers moi, nous dit, dans un charmant français teinté de couleurs de samba, qu'elle a vécu dix ans à Nantes et qu’elle sera contente quelque soit l'issue de la rencontre.

Restaurant Français de SohoA 2-0,  le bruit de la foule de plus en plus nombreuse dans la rue commencait même à couvrir les chants des français du restaurant. Mais les français connaissent leur équipe et les visages restaient crispés. Et quand Dessailly se fit exclure, on pu voir dans certains yeux le goal des Bulgares inscrit à la dernière seconde pour les qualifications de la World Cup, ou la douloureuse défaite en demi-finale face à l'Allemagne, à Séville, images terribles qui hantent encore et toujours les nuits des tricolores.

Pour être honnête, à ce moment-là, je les aimais presque les français. De même que plus tard, lorsque l'arbitre eut sifflé la fin de la partie après le troisième goal libérateur et que la foule s'est ruée hors des bars pour envahir West Broadway et obliger les flics à bloquer la circulation, j'ai du me retenir pour ne pas fredonner la Marseillaise avec eux. Et j'ai eu un petit pincement au coeur de me sentir à la fois si proche d'eux et de leur joie, mais en même temps d’en rester un peu étranger. Il faut dire qu’entre-temps le français moyen avait frappé. Le Français MOYEN. Celui que t'as même pas envie de traiter de con.

La quarantaine assurée, une petite moustache à la Jean Rochefort, habillé comme un Bronzé à New York, au fur et à mesure qu'il s'avérait que les brésiliens passaient à côté du match et qu'ils n'allaient probablement pas égaliser, il s'est mis à moquer les supporters brésiliens, à ne plus chanter pour les siens mais au détriment des autres. Plus les minutes s'égrainaient, plus il devenait vulgaire. Jouant avec la nourriture qu'il finit par jeter en direction des supporters brésiliens.

J'ai failli lui crier de rentrer chez lui si il ne savait pas mieux se tenir. Je me suis demandé comment les autres français autour n'avaient pas honte. Comment il n'y avait personne pour lui expliquer que c'est tellement plus gai de terminer le match en bon terme avec ceux d'en face. Et que c'est tellement plus noble de rester modeste surtout dans la victoire.

Et puis, le match s'est terminé. Tout le monde s'est retrouvé dans la rue. Certains n'y croyaient pas encore. Un ballon s'est mis à rebondir sur la foule, de tête en tête, de poings en poings. Un groupe plus meneur que les autres a lancé une Ola de rue. Tout le monde s'accroupissait pour soudain se relever en créant des effets de vagues. Les quelques rares aventuriers qui osaient lancer leur voiture à travers la foule compacte se retrouvaient secoués en tous sens et avec des supporters grimpant sur leur toît. Et pour une fois, les "phénoménales" de l'équipe de France allaient sans aucun doute se retrouver dans le journal de Claire Chazale. Et les françaises sont quand même jolies avec le drapeau bleu-blanc-rouge peint sur les joues et des larmes de joies coulant de leurs yeux.
 
 

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