A New York ou à Bruxelles, il faut bien se faire couper les cheveux. Et dans un cas comme dans l’autre, en débarquant dans une ville pour la première fois, trouver un bon coiffeur est une épreuve! Autant les guides et magazines regorgent de conseils futés pour aider à dénicher un restaurant, un bar, une boîte, un concert, une ambassade, un hôpital, une chaîne hi-fi (cf. guide du Routard), des bijoux (cf. guide Visa. Eh oui! Le public des deux guides est différent) et mille autres choses, autant il est impossible de lire ne fût-ce qu’une ligne de conseils pour aider le pauvre immigrant à se faire raccourcir les cheveux de manière décente à un prix raisonnable.
Lors de mes précédents séjours dans la city, je m’étais contenté de me faire tailler (et le mot est volontairement choisi) par des réfugiés yougoslaves dans des bouis-bouis capillaires installés dans les entrées de métro. Mais maintenant que je suis un vrai New Yorkais (tant il est vrai que quiconque reste un an à New York est déjà un New Yorkais), je ne pouvais plus me contenter d’un si piteux service. Il me fallait trouver un bon coiffeur! J’ai donc appliqué la technique déjà expérimentée lors de mes déménagements précédents à Bruxelles. Je suis allé… chez le coiffeur le plus proche de mon appartement.
Or,
mon quartier s’appelle Chelsea
et s'il est de notoriété commune que les meilleures soirées
gay de Bruxelles se tiennent le dimanche car les coiffeurs ont congé
le lundi, vous comprendrez facilement à quoi ressemble le personnel
d’un salon de coiffure situé en plein centre du quartier le plus
homosexuel de New York. Toutefois, ne m’arrêtant pas à de
si menus détails, je me suis donc présenté un samedi
matin chez Novo Cuts pour me faire rectifier les crolles.
Tout bon coiffeur commence par un shampooing. Ceci dit, en Brabançon bien éduqué, j’avais évidemment pris soin de me laver les cheveux avant de venir, pour ne pas obliger la pauvre stagiaire de service à tripatouiller des poils gras et visqueux, rendant par là même le shampooing inutile. Mais bon, la logique de l’éducation de mes parents n’étant pas le sujet principal de ce document, je ne m’avancerai pas plus loin sur le sujet. D'autant que c’est là que le fameux choc culturel frappa à nouveau! Au lieu d’une stagiaire, il y avait un grand noir. Au lieu des sièges minimalistes, il y avait un véritable trône molletoné et motorisé qui m'élevait doucement en position couchée plaçant délicatement mon cou dans l'évier à rincer les cheveux. Le grand noir me fit lever les pieds pour placer sous mes jambes un tabouret afin que le confort de ma position soit optimal. Une douce musique New Age caressait gentiment mes oreilles, alors que le grand noir se mettait à me masser le cuir chevelu avec application, douceur et doigté.
Et il massait, il massait, il massait encore. Et le temps passait. Et la musique New Age n’en finissait pas. Et je crois que j’aurais pu m’endormir et me réveiller avec les cheveux complètement usés par le frottement de ses grandes mains sur mon crâne.
Quand enfin, le rinçage fut terminé, après avoir retiré le tabouret de sous mes pieds et après m’avoir aidé à me relever, il me conduisit à la chaise d’exécution. A ce moment, je me voyais déjà dans les mains de la grande folle à ma gauche qui massait voluptueusement les épaules de son client. Le client semblait d'ailleurs apprécier. Grâce au ciel, ou alors grâce au sixième sens de l’hôte qui m’avait accueilli et mis sur la liste d'attente, mon coiffeur,… s’appelait Lynn et elle avait de jolis yeux bleus, un petit nez mutin, des cheveux teints en ambre et un t-shirt court qui révélait sa chute de rein dans le miroir, au point que j’en ai presque oublié de regarder ce qu’elle faisait de mes cheveux.
Elle s’attela à la tâche avec énergie et application. Mais alors que toutes mes coiffeuses belges passaient patiemment leur peigne dans mes cheveux, pour ensuite en suivre la ligne, Lynn lançait dans ma tignasse de grands coups de ciseaux, imitant Edouard aux mains d’argent en train de tailler les haies du château. De même, elle ne disait pas un mot, alors que généralement, les coiffeurs se font une joie de vous obliger à vous confesser, ou à discuter les derniers sujets chauds de l’actualité. Lynn restait silencieuse et concentrée sur son travail. Tout juste laissait-elle échapper de temps en temps un soupir de désespoir devant le fouillis de mes cheveux qui, il est vrai, n’avaient plus vu une paire de ciseaux depuis bientôt trois mois. Soudain, elle me fixa dans les yeux et après avoir soupiré à nouveau sa désapprobation, elle donna un grand coup de ciseaux dans mon sourcil gauche, afin probablement d’en rectifier le dessin. Je crois qu’à ce moment, si ce n’avait été pour sa chute de rein, je serais parti en courant et en hurlant que je ne laisserai plus personne d’autre qu’un coiffeur diplômé en Belgique me couper un seul de mes cheveux et surtout aucun autre cheveux que ceux de mon crâne!
En fin de compte, le résultat ne fut pas si mauvais et mes appréhensions
quant à la technique utilisée étaient vraisemblablement
non fondées. Et si je me réfère à mes expériences
précédentes, où durant deux ans je suis chaque
fois resté fidèle au coiffeur le plus proche de mon appartement,
il y a des chances que Lynn se soit gagné un nouveau client.