La vie quotidienne finit toujours par venir à bout des mythes les plus beaux. Ainsi, parmi les aventures les plus excitantes qu'il y ait à vivre pour un Européen en visite à New York, il y a la messe noire avec la choral Gospel dans Harlem. La raison de cet intérêt est triple. Tout d'abord, il y a le parfum de danger! Harlem reste quand même LE bas quartier de Manhattan (même si il est situé Uptown). Ensuite, il y a le petit goût de provocation! Nous, Européens, on ose aller dans ces tréfonds sombres peuplés des laissés pour compte du miracle américain. Enfin, il y le petit côté élite intellectuelle capable de s'intéresser à toutes les spécificités culturelles, même celles des plus défavorisés.
Bref, le Guide du Routard à la main, je me suis levé de bonne heure en compagnie d'amis, un dimanche, pour monter jusqu'à la 135e rue et vivre dans mon propre corps ce qui n'allait pas manquer d'être une expérience digne de figurer dans les futures mémoires que j'écrirai à l'âge de la retraite (le titre: essai sur la diversité du monde vu par Moi, pas en librairie avant l'an 2040). D'après le guide, la messe était à 10h45.
De
fait, les tunnels du métro, une fois dépassé Central
Park, deviennent vraiment délabrés. Ce doit d'ailleurs être
pour cela qu'ils sont en plein travaux de réfection. A la sortie
de la station, il est une chose qui vient tout de suite à l'esprit:
On voit le ciel! Ben oui, à force de vivre à l'ombre des
gratte-ciel du Financial District, dès qu'un bâtiment ne dépasse
pas les trois étages, il paraît fort petit.
Après avoir remonté quelques rues supplémentaires, nous avons pris la perpendiculaire de gauche. Celle-ci abritait visiblement l'église que nous cherchions, car d'une porte basse sortait une foule de noirs sur leur trente et un: les hommes semblaient tout droits sortir des années jazz et les femmes auraient fait de parfaites illustrations de la mode des années 40 (1840 s'entend évidemment, car autant en emporte le vent,...)
C'est là que le doute m’assaillit pour la première fois. Au dessus de la porte, je remarquai une plaque blanche avec les horaires. Premier office 9h30, deuxième office 11h00. Sur le trottoir, soigneusement contenue par deux grands noirs, il y avait une file qui attendait que l'église se vide des participants au premier service. Nous avons donc remonté lentement cette file pour aller nous placer à la queue tout en comptant au passage 15 Guide du Routard, 25 Lonely Planets, un Michelin vert, une quirielle de Guide Nueva York visiblement espagnols ainsi que quelques équivalents alémaniques. Au bas mot, cinq cents personnes attendaient de pouvoir entrer. Toutes plus blanches les unes que les autres, quoiqu'à la réflexion, il devait bien y avoir un japonais ou l'autre. Je suis resté perplexe lorsqu'une vieille tarte m'a demandé où l'on pouvait se procurer des tickets et nous n'avons pas trop fait attention lorsque les hollandaises devant nous ont sorti de leur sac-à-dos du pain et du paté (fort probablement emporté par elles du pays bas) pour casser la croûte en attendant.
Une bonne demi-heure plus tard, un pingouin de service vint nous informer qu'il n'y aurait pas de place pour tout le monde dans cette église, mais que si nous voulions bien le suivre, il nous conduirait à une autre église où le second service n’allait pas tarder à commencer. N'étant pas contraire et étant de toute manière en compagnie d'une dizaine de français, de quelques australiens et allemands et même d'une famille espagnole, nous sommes donc redescendus trois blocs jusqu'à l'église baptiste africaine de Zion! Le pingouin nous a diligemment canalisés vers les balcons où en compagnie des autres touristes, nous avions une vue plongeante sur le coeur de l’église et sur le parterre vaguement clairsemé de quelques petits vieux et petites vieilles locaux. Nous étions mieux mis qu’à Forest National pour apprécier le spectacle!
Première
remarque, le cadre était superbe. Surtout en comparaison de l’état
de délabrement des maisons adjacentes, toutes vétustes et
abandonnées, dont les portes étaient condamnées et
dont les entrées puaient la pisse! L’intérieur était
reluisant, de massives orgues surplombaient la chorale, elle-même
située au dessus du choeur de l’église. La sonorisation était
parfaitement assurée depuis une petite cabine à l’arrière
du balcon. Le responsable du son aurait d’ailleurs pu être DJ dans
une boite d’East Village. Il
y avait place pour au moins 500 personnes, il faisait doux et frais. La
salle était bien éclairée. Les femmes vêtues
de blanc, arboraient des chapeaux ‘aussi tarte que ceux de la reine d’Angleterre’.
La citation vient du Guide du Routard. Elle décrit parfaitement
l’objet. Il ne manquait plus qu’une vedette, le prêtre allait donc
bientôt monter sur scène!
La chorale entama une suite de chants de bienvenue. L’organiste avait parfois un peu de mal à suivre le rythme pourtant pas très soutenu et les chants étaient somme toute fort église du dimanche et pas très gospel. Bref, rien qui puisse faire un disque avec U2.
Quand enfin, les chanteurs firent une pause, le prêtre se leva
et fit un bref rappel des événements de la semaine dans la
paroisse, y compris la mort d’un ancien paroissien quelque part en Caroline
du Nord. Son assistante rappela alors que la paroisse allait en visite
en France pour une conférence machin brol, et qu’elle avait donc
besoin de fonds qui pouvaient être versés sous forme de chèques
à mettre dans une enveloppe disponible au fond de l’église.
Le prêtre a ensuite demandé aux visiteurs d’Angleterre de
se lever pour se faire applaudir par l’assemblée, il fit de même
pour les français, les australiens, les finlandais. Chaque nationalité
a eu droit à sa salve d’applaudissement. Heureusement, nous n’avions
pas donné notre nationalité à l’entrée de l’église.
Après un quart d’heure de prêche, seules les grenouilles
de bénitier du premier rang suivaient encore le fil du discours.
Peu à peu, les touristes
quittaient le balcon pour reprendre le métro et se précipiter
au Disney
Store ou au
Coca-Cola
Shop de la 5e Avenue.
NDLR: Un tout grand merci à Gérard de Grenoble pour ses corrections.